• Jacques Le Goff est mort hier, mardi 1er avril 2014, à l’âge de 90 ans. C’est un spécialiste mondialement reconnu du Moyen Âge qui quitte ce monde. Il est un des grands historiens français qui ont approfondi et complètement renouvelé l’histoire médiévale. Dans les pas de Marc Bloch et Lucien Febvre ou Georges Dumézil (1898-1986) et Fernand Braudel (1902-1985) qui fut son maître. Jacques Le Goff formait avec Georges Duby (1919-1996) et Jean Favier (né en 1932) le « tiercé de tête » des auteurs phares des cinquante dernières années en ce qui concerne le Moyen Âge. Je ne cite que deux de ses oeuvres qui me viennent à l’esprit qui sont Saint Louis (Gallimard, janvier 1996) et Un autre Moyen Âge (Gallimard, janvier 1999), ce dernier pavé (1396 pages) étant une compilation de sept livres antérieurs, dont La naissance du Purgatoire (paru en 1981).


    « Un autre Moyen Âge c’est un Moyen Âge total qui s’élabore aussi bien à partir des sources littéraires, archéologiques, artistiques, juridiques qu’avec les seuls documents naguère concédés aux médiévistes « purs ». C’est la période qui nous permet le mieux de nous saisir dans nos racines et nos ruptures, dans notre modernité effarée, dans notre besoin de comprendre le changement, la transformation qui est le fonds de l’histoire en tant que science et en tant qu’expérience vécue. C’est ce passé primordial où notre identité collective, quête angoissée des sociétés actuelles, a acquis certaines caractéristiques essentielles. »


    (Jacques Le Goff, quatrième de couverture de « Un autre Moyen Âge ».)


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  • Hézelon.

    Hézelon (Ezelo) était un moine de l’abbaye de Cluny  et c’est lui qui réalisa, sur ordre de l’abbé Hugues de Semur, la grande église abbatiale de « Cluny III ». Cette construction  surprit les contemporains par la hardiesse de sa conception et de sa construction. Comment avait-on osé dépasser les dimensions de Saint-Pierre de Rome, déjà supplanté depuis peu par la cathédrale impériale de Spire ? Cette élévation fut prodigieuse, ses 141,73 mètres de long sans le narthex, ses deux transepts et ses cinq nefs ! Ezelo était un moine fervent de Cluny : Pierre le Vénérable, le grand abbé clunisien, dans une lettre écrite entre 1136 et 1145, rend hommage à ses mérites en tant qu’architecte de sa nouvelle abbatiale, mais aussi à « ses capacités d’élocution » et à « sa science avertie » qui lui ont permis de façonner les mœurs de ses auditeurs. C’est un « magnus magister », dit-il, soulignant ses études supérieures grâce auxquelles il a pu enseigner assez longtemps à Cluny. Hézelon fait figure d’exception à côté des grands prélats « traditionnels » issus des familles de haute noblesse : déjà membre du clergé régulier, il se fait en effet moine de stricte observance, ce qui ne l’empêche pas de jouer un rôle actif à Cluny et dans l’Europe de son temps. Il était un membre de la plus haute noblesse européenne.

    Hézelon, qui avait été chanoine de Liège avant de venir à Cluny vers 1088, était le fils de Mathilde, elle-même fille du duc Eudes-Henri de Bourgogne, le frère d’Hugues Capet. Il avait pour sœur Régine (Regina, Reine), mariée à Renaud II (mort en 1097), comte de Mâcon (le comté de Cluny), fils du comte Guillaume II le Grand, comte de Bourgogne et de Mâcon (mort en 1086), mais aussi frère de Guy, le futur Calixte II, le pape du concordat de Worms en 1122. Régine se fera moniale au célèbre prieuré clunisien de Marcigny en lui donnant ses propriétés d’Aywaille et de Rachamps qu’elle avait héritées de sa mère, qui était à la fois l’épouse du comte Conon d’Oltigen – le frère de l’évêque Burchard de Lausanne (1056-1089) – et la sœur de Conrad Ier, comte de Luxembourg, dont l’épouse Clémence était une fille du duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, Guillaume-Aigret (mort en 1058). Hézelon était présent lors de l’acte de donation de sa sœur Régine (Reine) en faveur de Marcigny, en tant que frère mais aussi comme représentant de l’abbé et des moines de Cluny.

    Je dois dire que j’ai été surpris en découvrant cette biographie, peu connue, mais qui éclaire bien l’histoire de la noblesse et qui, subsidiairement, renforce l’affirmation que la maison des comtes de Poitiers ducs d’Aquitaine était bel et bien dans le cercle de la haute noblesse européenne.


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  • Le premier consulat des Etats-Unis d’Amérique en France.

    Hôtel Fenwick, 4 cours Xavier-Arnozan, à Bordeaux.

    Cet hôtel, situé en bout du cours Xavier-Arnozan, au coin du quai des Chartrons, a été construit à la fin du XVIIIe siècle par Joseph Fenwick, un Américain originaire du Maryland. En 1791, il obtint l’enregistrement de ses lettres de commerce en qualité de consul des Etats-Unis. C’est le général George Washington, premier président américain, qui le nomma à ce poste à Bordeaux. Son hôtel devint ainsi le premier consulat américain sur le territoire français. Ce détail historique suffirait à distinguer l’immeuble si ce bâtiment n’était également remarquable par son exceptionnelle qualité architecturale. La construction en est due à l’architecte Jean-Baptiste Dufart, qui a dessiné l’un des plus beaux hôtels néoclassiques de la ville, et au maître d’œuvre Charles Durand. Cinquante ouvriers y travaillèrent quotidiennement pendant l’hiver 1795. La porte centrale inspirée d’une serlienne n’a été percée que vers 1870. Les éléments qui la décorent sont traités dans le même esprit que les ornements des colonnes rostrales de la place des Quinconces. Peu courant dans l’architecture bordelaise, un balcon court le long du premier étage. Les deux belvédères « clochetons-observatoires », souvent vus à la télévision, s’élevant au-dessus des toitures font aussi figure d’originaux dans la mesure où ils semblent très inspirés des demeures aristocratiques de Philadelphie ou de Boston. Autre particularité, les volets à persiennes sont tous d’origine ainsi que leurs ferrures ; le fait est d’autant plus notable que l’hôtel Fenwick est certainement l’un des premiers à introduire à Bordeaux la mode des volets extérieurs, ordinairement bannis des demeures prestigieuses. A la fin du XIXe siècle, la maison fut vendue à la Compagnie générale transatlantique qui s’en défit à son tour. Il a été restauré en 1985 et la Ville de Bordeaux en est propriétaire. Il fut question un temps d’y loger le musée de la Marine mais on y renonça, faute de crédits.

     

    Je vous donne en suivant une courte biographie de Dufart.

    Jean-Baptiste Dufart est né à Bayonne vers 1752 et il vint à Bordeaux vers 1772 où il fut attaché comme dessinateur au bureau de l’architecte Victor Louis, auquel il donna pendant plus de dix ans son intelligent concours et témoigna par ses œuvres de l’influence qu’eut sur son talent celui de son illustre maître. Plusieurs des maisons de ville ou de campagne attribuées à Louis sont l’œuvre de Dufart, entre autres le château Peixotto, à Talence ; le château Beauséjour, à Gironde ; le château du Burck, à Ambès, et la Maison Fenwick. Le château Feuillas (?), aujourd’hui observatoire de Floirac (?).

    En 1793, il commença sur l’emplacement du jardin des Récollets, le Théâtre Français, terminé sept ans plus tard, œuvre de beaucoup de mérite vu la forme disgracieuse de l’emplacement.

    Il succéda vers 1805 à Lhote comme ingénieur de la voirie de Bordeaux.

    Chargé des travaux de démolition du château Trompette, il établit le tracé définitif de la place des Quinconces. Dufart a donc joué un rôle décisif dans l’évolution de l’architecture et de l’urbanisme bordelais. Il est décédé à Bordeaux le 19 février 1820.

     

    Laurence Chevallier a soutenue en 2010 une thèse de doctorat dont le titre est « Jean-Baptiste Dufart (1750 – 1820) et les milieux artistiques bordelais », je ne sais pas si elle a été éditée.


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  • Un surprenant passé cinématographique : Hollywood-sur-Garonne.

     

    Le château Tauzin est une splendide bâtisse bordelaise du début du XXe siècle dessinée par l’architecte bordelais Hector Loubatié.

    En 1882, le propriétaire du terrain, M. Ducasse – à la tête d’une petite manufacture d’armes et de munitions et bien connu du milieu bordelais – a progressivement acquis les parcelles avoisinantes en vue de sa construction.

    Après avoir habité le château dix années durant, il le vend à la famille Lange en 1910, qui le cède en 1946 au producteur et réalisateur Emile Couzinet (1896 – 1964).

    Né à Bourg-sur-Gironde, ce dernier a d’abord été projectionniste ambulant aux lendemains de la Première Guerre mondiale, puis directeur du casino municipal de Royan où il fonde « Les Studios de Royan-Côte de Beauté », remarquablement équipés, qui jettent les bases d’une industrie cinématographique régionale. Il débuta sa production avec Le club des fadas et L’intrigante, deux titres qui marquaient le début d’une filmographie qu’on ne pourrait qualifier d’exigeante. Puis vint la guerre et les bombardements anglais qui détruisirent Royan… et les studios.

    Après le bombardement de la ville en 1945, il investit les abords du ChâteauTauzin en 1946 pour y faire construire ses nouvelles infrastructures des« Studios de la Côte d’Argent », qui deviennent dès lors sa résidence principale. Les studios connurent une intense activité jusqu’en 1962. Vingt-six films, courts et longs métrages, y furent en partie tournés sous le label de « Burgus-Films ». C’était un « petit Hollywood » que Couzinet avait construit. Magasins à décors, grand plateau, magasins d’accessoires, plan d’eau, terrains pour décors extérieurs, jardins à la française et à l’italienne, parc à l’anglaise, le tout dans un enclos de deux hectares. Emile Couzinet ambitionnait d’être l’égal de Pagnol. Il n’était cependant ni poète ni scénariste mais avant tout un gestionnaire, un distributeur et un exploitant de salles.

    Auteur prolifique d’une trentaine de films populaires, Emile Couzinet travaille entre autres avec de nouveaux talents tels Robert Lamoureux ou Jean Carmet et a comme jeune assistant, un certain Roberto Leone Roberti qui deviendra Sergio Leone…

    Une exposition à la mémoire d’Emile Couzinet a été présentée en 2008 au Musée de Royan, avenue de Paris, à Pontaillac.

    A sa mort, les propositions de rachat du domaine de Tauzin se heurtent au fait que la propriété se trouve frappée par un projet de pénétrante.

    La Ville de Bordeaux l’acquiert finalement au début des années 1970 pour y entreposer les décors du Grand Théâtre.

    Sa réhabilitation en structure d’animation intervient en 1988, sous l’impulsion du sénateur Jacques Valade et du maire de l’époque, Jacques Chaban-Delmas. Seule une partie de cet immense domaine est réservée à l’animation, tandis que le reste fait l’objet de projets immobiliers.

    C’est au Club Pyrénées Aquitaine et à Louis Boulesque, président fondateur, qu’est confié ce lieu d’accueil pour le mettre au service des habitants ; il obtient ainsi le label maison de quartier.


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  • Chef, c’est un qualificatif de cuisinier.
    Boutade d’Adolphe Thiers. Le 17 février 1871, à Bordeaux, Jules Grévy, président de l’assemblée nationale, proposa « que Thiers fût élu chef du pouvoir exécutif. Ce mot de chef, qui semblait relever de la cuisine, ne plaisait pas beaucoup au candidat, qui fit ajouter : «  de la république française » ». Elle lui plaisait si peu, qu’on lui attribua la phrase ironique : « Chef, c’est un qualificatif de cuisinier. »
    Par la force des choses, M. Thiers s’en accommoda pourtant jusqu’à la loi Rivet (août 1871), dont l’article premier était : «  Le chef du pouvoir exécutif prendra le titre de président de la république française. » Adolphe Thiers quitta volontairement le pouvoir le 24 mai 1873. Il mourut le 3 septembre 1877. 


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