• Les troubadours.

    Le trobador (prononcer troubadour, comme en français), c’est celui qui « trouve », qui compose à la fois les paroles et la musique sur laquelle ces paroles seront chantées.

    Les troubadours sont des poètes de cour ; leur idéal de vie est la courtoisie, qui suppose à la fois la générosité, la distinction des manières et la fin’amor. Cet idéal rend homogène la création de poètes d’origines sociales très diverses.

    La langue des troubadours est l’occitan, ou langue d’oc. Le territoire et la langue cela allait ensemble. On parlait Oc et on vivait dans le pays de langue d’oc. A cette époque, allant de la fin du XIe siècle au XIVe siècle, où naît la première poésie européenne en langue vulgaire, cette langue s’affirmait comme la grande langue européenne de la culture du temps. L’Occitan c’est la langue de Guillaume IX d’Aquitaine, de sa petite-fille Aliénor, de Richard Cœur de Lion, et de plus de quatre cents troubadours. Cette langue a été choisie comme langue de leurs poèmes par Alphonse II d’Aragon, par Sordello (rendu célèbre par Dante), par Jacques II d’Aragon, par les troubadours catalans, castillans et italiens ; cette langue, c’était la langue des comtes de Toulouse et de Provence, la langue de Dalfin d’Alvèrnhe et d’Uc de Mataplana, la langue de Gui de Chaulhac et d’Arnaud de Villeneuve, les deux grands médecins de l’époque ; ce sera plus tard celle de Pèire Godolin et, plus tard encore, celle de Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature ! Des femmes, les trobairitz, comme Azalaïs de Porcairargas ou Béatrix comtesse de Die, s’illustreront aussi dans cet art lyrique. Beaucoup de ces œuvres nous sont parvenues. Les plus anciennes sont de Guillaume IX d’Aquitaine. Puis il y eut Marcabru, Cercamond, Jaufré Rudèl (le prince de Blaye), Bernard de Ventadorn, Rambaud d’Aurenga (seigneur d’Orange), Bertrand de Born (seigneur de Hautefort), Arnaud Danièl, Raimond Jordan (vicomte de Saint-Antonin), Folquet de Marseille, Guilhem de Durfort, Savaric de Mauleon ou Gaucelm Faidit pour n’en citer que quelques uns !

    Dante disait  de la langue d’Oc que c’était «  la parlure la plus parfaite et la plus douce ».

    C’est bien dans cette langue que naît la première poésie du temps en Europe. Guillaume d’Aquitaine est le premier troubadour connu, peut-être ne fut-il pas le premier, et c’est forcément le plus important. Sa situation de grand de ce monde est une chance pour la lyrique d’oc, qui grâce à lui va essaimer et se répandre. La première période de la poésie occitane commence à la fin du XIe siècle et on peut en situer la fin vers le milieu du siècle suivant, vers 1150. C’est la période de ce que l’on appelle « l’amour chevaleresque », fondé sur les coutumes et mœurs féodales. A cette période appartiennent Jaufré Rudèl, un autre grand seigneur, mais aussi Alegret, Bernard Martin, Marcabrun, Cercamond.

    Entre 1150 et le début de la croisade menée contre les Albigeois (1209), se situe l’époque dite classique de la lyrique d’oc. Les poètes sont nombreux, les œuvres aussi. Ces poètes appartiennent à toutes les classes de la société. A cette période appartiennent Rambaud d’Aurenga, Bernard de Ventadorn, la comtesse de Die ; puis une deuxième génération se fait jour avec Giraud de Bornèlh, Bertrand de Born, Arnaud Danièl, Gui d’Ussèl, Pèire de Vic (le célèbre moine de Montaudon), Arnaud de Mareuil, Gaucelm Faidit, Rambaud de Vacairàs…

    La croisade contre les Albigeois va changer bien des choses. Avec l’assassinat du légat du pape Pierre de Castelnau (14 janvier 1208), le sac de Béziers (22 juillet 1209), la défaite à Muret de Pierre II d’Aragon et de Raimond VI de Toulouse (12 septembre 1213), c’est le début du « siècle de fer », le début des guerres, des meurtres et des misères ; c’est le début d’une croisade dont le pays d’oc ne se relèvera pas. Les troubadours chantent toujours l’amour, mais certains d’entre eux s’engagent franchement dans la lutte contre Simon de Montfort et l’envahisseur français. De grandes voix s’élèvent : Guilhem Figuèira, Bernard Sicard de Maruéjols et le grand Pèire Cardenal. Et ce sera le traité de Meaux (1229), puis la chute de Montségur (1244), enfin le rattachement direct du Languedoc à la couronne de France (1271). Après tout cela, la poésie d’oc entre en décadence. On commence ici et là à voir des troubadours prendre leur parti de la domination française, voire prendre son parti ; ainsi en est-il de Bernard d’Auriac, de Guilhem d’Autpol, de Pèire de Ladils, en face des fidèles les plus farouches, tel l’étonnant et brillant esprit que fut Raimond de Cornet. Et surtout s’accentue avec et après Guiraud Riquièr, le glissement de la lyrique vers le didactisme religieux. La Vierge Marie remplace la Dame, Guiraud Riquièr renie ses chansons, et ce n’est pas le Consistoire du Gai Savoir, fondé à Toulouse en 1323, qui fera retrouver le lustre de la grande époque d’oc. La littérature continue, mais elle s’essouffle, se confine dans le moralisme, la médiocrité ; la poésie conserve son lexique et ses formes, mais elle s’est vidée de son éclat et de sa profondeur. Ce que nous ont légué les troubadours est immense, mais leur somme pourrait presque se résumer en un mot : l’amour.

    Les troubadours se déplacent beaucoup ; les seigneurs vont à la guerre ou à la croisade ; les autres les suivent ou fréquentent leurs châteaux et leur cour. Gaucelm Faidit est en Provence, en Italie, en Palestine et, peut-être, en Hongrie. Giraud de Bornèlh a fréquenté successivement les cours de Narbonne, de Toulouse, de Foix, d’Aragon, et il a accompagné Richard Cœur de Lion à la croisade.

    Dans l’ensemble les troubadours – même si certains ont été soupçonnés de catharisme – sont catholiques et opposés aux croisés qu’ils fustigent vigoureusement, peut-être pour avoir moins à attaquer de front la papauté, excepté au moins et bien entendu Guilhem Figuèira.

    On peut dire que c’est l’expression d’une « civilisation » courtoise qui a disparue. Et que ce que l’on a appelé « Moyen Âge » n’est pas synonyme de « Âge sombre ».

    Nota : en général les noms propres de cet article sont orthographiés en langue occitane.


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  • Le dernier troubadour.

    Raimond de Cornet.

    Fils de troubadour, né à Saint-Antonin de Rouergue (dans le Tarn-et-Garonne actuel), il est prêtre en 1324, puis moine de l’ordre de saint François ; il sera menacé du bûcher en 1326 lorsque, sous Jean XXII, des Béguins furent arrêtés et brûlés à Avignon. Il redevint prêtre séculier en 1327 et fréquenta le Consistoire du Gai Saber de Toulouse. Il vivait encore en 1341 ; il mourut sans doute au monastère de Pontaut (diocèse d’Aire-sur-Adour), où il était entré comme moine blanc. Son œuvre est abondante : une quarantaine de cançons, six sirventés et autant de tençons, un planh, une vèrsa qui rappelle Pèire Cardenal, et un Doctrinal de trobar (543 vers de six syllabes !).

    Esprit brillant, homme indépendant, Occitan sincère, Raimond de Cornet hait tous les rois de France, coupables à ses yeux d’avoir porté la croisade en Languedoc au lieu d’aller la faire en Orient ; antifrançais comme son père, on le soupçonne d’être allé volontairement mourir en Aquitaine, hors du royaume de France. Après lui, les rimeurs prendront la place des poètes, Aussi est-il sans doute, vraiment, le « dernier troubadour ».

    Sa vèrsa « Car mout òme fan vèrs » est une satire, de 137 vers, très vigoureuse du siècle et de ses hommes. Le poète s’en prend à tous ceux qui bafouent Dieu et sa loi, et surtout à ses serviteurs infidèles, à l’Eglise romaine et au pape.

    Ce poème comprend vingt-deux strophes de treize vers et une tornada de sept.

    Raimond de Cornet s’en prend aux médecins et apothicaires, aux plaideurs, aux notaires, aux clercs étudiants ; puis à la noblesse orgueilleuse, aux marchands, aux artisans, aux hommes de peine, aux mendiants, aux jongleurs, aux hôteliers ; tout ça en faisant la critique du pape, des cardinaux et évêques, ainsi qu’au roi de France et à ses trésoriers et baillis. Il y dénonce aussi clairement les indulgences et les prébendes de l’Eglise. Tout cela écrit en « langue d’oc », c’est-à-dire en occitan.


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  • A propos du duc Guillaume IX d’Aquitaine.

    Guilhem de Peitèus « septième comte de Poitiers et neuvième duc d’Aquitaine » est un grand seigneur dont les domaines sont plus importants que ceux du roi de France. Il est aussi le premier troubadour connu et le premier poète européen en langue vulgaire. Personnage aux visages divers, seigneur somptueux, trichador de dònas (trompeur de femmes), marié deux fois et deux fois excommunié, ennemi de l’Eglise et croisé, Guilhem chante un amour encore chevaleresque, première étape vers un autre amour, courtois, et une nouvelle éthique. Son importance est capitale, puisqu’il est à la naissance de la poésie en Europe ; sa petite-fille Aliénor, reine de France puis d’Angleterre, devait plus tard contribuer par son action au rayonnement culturel de son temps. Il nous est parvenu de Guilhem onze chansons, que l’on range traditionnellement sous deux sources d’inspiration : l’une, gaillarde et destinée à des compagnons de débauche, l’autre, courtoise et calquant le service d’amour sur le service féodal. Une dernière chanson est un peu à part : Pòs de chantar m’es pres talents (Puisque m’a pris le désir de chanter). Ce poème est à part et tient une place particulière dans la production des troubadours. Il semble qu’il ait été écrit en 1117, à l’occasion du pèlerinage à Compostelle que le duc accomplit après la levée de son excommunication. On y découvre un Guilhem, qui a alors quarante-six ans, tout à la fois père qui tremble pour son fils, homme d’Etat qui craint pour ses domaines, et homme tout court qui dit adieu au monde et à tout ce qui a été sa vie. Le poète demande pardon à ceux qu’il a pu offenser, il prie Dieu de le recevoir auprès de Lui et il convie ses amis à ses funérailles, qu’il veut somptueuses. C’est là sans doute le premier exemple en Europe de ce type de lyrisme personnel, promis à une belle descendance. 


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  • A propos de Cluny.

    Le 11 septembre 910, le duc d’Aquitaine, et comte de Mâcon, Guillaume le Pieux fonde l’abbaye bénédictine de Cluny sur des terres que sa sœur, la comtesse Ava ou Eve (de Chalon ?) lui a données en 893, lorsqu’elle est devenue abbesse de Sauxillanges. Il confie Cluny à l’abbé Bernon venu avec des moines de Baume et de Gigny. En 917, Ebbes (ou Ebbon, mort en 937), un fidèle de Guillaume, fonde à son tour l’abbaye de Déols en Berry pour Bernon ; la nouvelle abbaye reçoit en 919 des moines de Saint-Gildas de Rhuys fuyant les Normands.

    Entre 916 et 918, le marquis de Neustrie Robert apporte son aide à Raoul, fils de Richard le Justicier, pour enlever Bourges à Guillaume le Pieux d’Aquitaine. Le monastère de Souvigny est fondé par Aymard de Bourbon, vassal du duc Guillaume, et donné à Cluny.

    Vers 932 l’abbé Odon de Cluny obtient du pape Jean XI une formule proche de l’exemption, avec la liberté d’élection de l’abbé et le droit de celui-ci à diriger plusieurs monastères.

    En 954 l’aristocrate provençal Maïeul  (vers 910-994) est choisi pour coadjuteur par le troisième abbé de Cluny Aymard (927-963), devenu aveugle. Il inaugure la construction d’une nouvelle église abbatiale : Cluny II, dotée d’un transept de forte envergure latérale et d’une tour de croisée, est consacrée par l’abbé Maïeul en 981 et achevée pour l’essentiel en 983.

    En 982, le comte Eudes Ier de Blois réforme l’abbaye bénédictine de Marmoutier, qu’il rattache à Cluny. En 990 Cluny se dote d’un nouveau coutumier.

    Le 22 avril 998 l’abbé Odilon de Cluny obtient du pape Grégoire V le premier privilège d’exemption tant de la justice que du pouvoir d’ordre de l’évêque diocésain.

    En mai 999, à Saint-Marcel-lès-Chalon, en présence du roi, Hugues, le nouvel évêque d’Auxerre (999-1039) et comte de Chalon soumet à l’abbaye de Cluny l’abbaye de Paray-le-Monial fondée par son père en 977.

    L’abbé Odilon de Cluny, en 1016, fait ratifier à l’assemblée de Verdun-sur-le-Doubs de nouvelles règles contre la guerre privée. En avril 1021, le pape Benoît VIII enjoint aux évêques d’Aquitaine, de Bourgogne et de Provence de défendre les domaines de Cluny contre toute forme d’agression.

    En 1024 l’abbaye de Cluny obtient du pape Jean XIX un grand privilège d’exemption pour toutes les maisons, moines et moniales dépendant de l’ordre clunisien.

    Odilon, cinquième abbé de Cluny, publie une révision des coutumes de l’abbaye en 1026.

    Le roi de Navarre Sanche le Grand visite l’abbaye de Cluny en 1032.

    En 1048, le chevet de Saint-Jean-d’Angély est consacré. L’ancienne abbaye était entrée dans le giron de Cluny vers 1030.

    L’abbé Odilon, mort en 1049, est l’instaurateur de la fête des défunts, le 2 novembre. Hugues de Semur succède à Odilon. Hugues sera abbé jusqu'à sa mort en 1109.

    Guillaume VIII, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, donne à Cluny Saint-Jean de Montierneuf de Poitiers (1076).

    En 1062, le vicomte de Limoges Adémar II donne à l'abbaye de Cluny et à son abbé Hugues de Semur l'abbaye de Saint-Martial de Limoges.

    Vers 1077, le roi de Castille Alphonse VI  double sa donation annuelle à Cluny, qui s’élève désormais à 2000 mancusos d’or.

    En 1079 le roi Philippe Ier cède à Cluny la collégiale Saint-Martin-des-Champs, fondée par son père en 1059.

    En 1080, Udalric, moine de Cluny, rassemble les coutumes de Cluny dans un recueil.

    Les clunisiens de Saint-Etienne de Nevers dotent leur église d’une nouvelle nef, la dédicace a lieu en 1097.

    En 1081, le duc d’Aquitaine Guillaume VIII rattache Saint-Eutrope de Saintes à Cluny.

    A partir de 1088, l’abbé Hugues de Cluny entreprend la construction de la grande abbatiale dite aujourd’hui Cluny III, qui est, à son achèvement en 1130, la plus grande église de la Chrétienté. Passant à Cluny le 25 octobre 1095, le pape Urbain II y consacre l’autel majeur, l’autel matutinal et trois autels des « premières chapelles » (d’abside ?). Vers 1120, l’abbé Pons de Melgueil ordonne la destruction des parties restantes de Cluny II. En 1125-1126, une partie des voûtes s’écroule dans la nouvelle nef, qui est aussitôt restaurée.

    Le 23 octobre 1130, le pape Innocent II célèbre la dédicace de la nouvelle abbatiale de Cluny III, nef à cinq vaisseaux.

    Réplique de celle-ci, l’église de Paray-le-Monial est sur le point d’être achevée.

    L’abbaye de Cluny fut supprimée en 1791 et en 1798 le terrain de l’abbaye fut découpé et vendu par lots. Elle fut alors presque entièrement détruite. Seuls subsistent aujourd’hui les bras sud du grand et du petit transept, ainsi que le clocher qui coiffe le croisillon sud du grand transept. Il est bien difficile d’imaginer ce que fut cette gigantesque abbaye.

    Cluny fait l’objet d’un bel article de Dominique Iogna-Prat  dans le Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge (pages 349 à 351 du tome I) paru en 1997 sous la direction d’André Vauchez.


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  • Claudie Duhamel-Amado a consacrée une thèse aux vicomtés de Béziers et d’Agde entre 900 et 1170. Elle y étudie la généalogie, les domaines et les pouvoirs de trente-trois lignages et observe notamment que les quinze seigneurs les plus anciens du premier tiers du XIe siècle se révèlent être les plus proches des familles comtales et vicomtales wisigothes et franques du dernier siècle carolingien. Elle évoque au niveau des principautés les querelles entre les Guilhelmides, marquis de Gothie (avec leurs branches secondaires), et les premiers Raimondins, comtes de Toulouse, ou entre ces derniers et les comtes de Barcelone, ou bien encore entre ces princes et la nouvelle dynastie vicomtale des puissants Trencavel, qui réunissent les vicomtés d’Albi, de Carcassonne et de Béziers, sans oublier les Guilhem de Montpellier ni les vicomtes de Narbonne. Ces travaux ont fait l’objet de deux publications :

    -Genèse des lignages méridionaux. Tome 1, L'aristocratie languedocienne du Xème au XIIème siècle de Claudie Duhamel-Amado (1 janvier 2002)

    -Genèse des lignages méridionaux, Tome 2, Portraits de famille de Claudie Duhamel-Amado (1 mai 2007).

    Malheureusement ces deux livres sont aujourd’hui épuisés et j’aimerais beaucoup en faire l’acquisition. Aussi si quelqu’un sait où les trouver ou en possède, me le faire savoir par message privé. L’appel est lancé.


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