• A propos de la soeur de Robespierre.

    Marie-Marguerite-Charlotte Robespierre.  

     

    Sœur de Maximilien et Augustin, naquit à Arras le 21 janvier 1760.

    Après la mort de ses parents, elle fut recueillie par les sœurs de son père, ainsi que sa sœur cadette (Henriette-Josèphe), qui mourut toute jeune encore vers 1774. Lorsqu'elle eut atteint sa dixième année elle entra, par la protection de l'évêque d'Arras, au couvent des Manarres, à Tournai, et y reçut l'éducation des jeunes filles nobles de la province.

    Quand son frère Maximilien fut revenu à Arras pour y exercer la profession d'avocat, elle s'installa avec lui dans la vieille maison paternelle et en dirigea l'intérieur. Augustin Robespierre, ses études terminées, vint aussi habiter avec eux, et ils vécurent ensemble dans la plus parfaite union.

    Dès cette époque, Charlotte professa pour son frère aîné la plus vive admiration. Habituée au langage austère de Maximilien, dont elle partageait toutes les idées, elle acclama avec transport la révolution, et, quoi qu'on en ait dit, s'associa activement au mouvement des idées nouvelles. Nous n'en voulons pour preuves que les quelques lettres inédites qui nous sont parvenues sous les yeux, lettres d'un style viril, et démentant de la façon la plus éclatante l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'elle était incapable d'écrire les Mémoires qu'elle a laissés sur ses deux frères.

    Elle ne suivit pas Maximilien lorsqu'il quitta Arras pour aller exercer son mandat de député aux états généraux ; mais de loin il continua de veiller sur elle, et, durant toute la session de l'Assemblée nationale, il lui fit régulièrement parvenir le tiers de son indemnité de représentant.

    De son côté, Charlotte prenait chaudement à cœur la cause de la révolution et se faisait volontiers, auprès de son frère, l'avocat de ceux qui avaient à souffrir des abus de l'ancien régime. Un jour, un frère du couvent des Bons fils d'Armentières vient lui dénoncer le régime atroce auquel était soumise cette maison monacale, aussitôt elle écrit à Maximilien : « Je frémis lorsque je pense que l'assemblée nationale laisse jouir en paix des bourreaux de l’humanité. Ces monstres s'indignent d'être obligés de modérer leur férocité, dans l'inquiétude qu'ils éprouvent de l'incertitude de leur existence. Ma lettre n'est point une déclamation, c'est la vérité. Ces démons incarnés se sont réjouis de la fausse nouvelle de la mort du comte de Mirabeau, qu'ils regardent comme le fléau des abus... Tout ce qu'on a dit de l'inquisition n'approche point du régime des Bons fils. La Bastille est un séjour enchanté auprès de ces prisons habitées par le crime, la scélératesse ».

    A propos de la loi martiale, si énergiquement combattue par son frère à la tribune

    de l'assemblée, elle écrit encore : « On vient de publier aujourd'hui dimanche la loi martiale ; j'ai marqué mon étonnement d'entendre, immédiatement après la lecture de cette loi, déclarer que la garde nationale était toujours libre... » Ces simples citations suffisent à prouver que, contrairement à des opinions dénuées de tout fondement, elle était fort avancée dans le mouvement des idées révolutionnaires, et qu'elle était en parfaite communauté de sentiments politiques avec ses frères.

    Elle quitta Arras en même temps qu'Augustin Robespierre et vint habiter avec lui, rue Saint-Honoré, un petit appartement faisant partie de la maison Duplay, situé au premier, sur la rue, tandis que son frère Maximilien occupait une chambre sur la cour. Elle assistait assidûment aux séances de la Convention et y emmena quelquefois Elisabeth Duplay, la plus jeune des filles de l'hôte de Robespierre.

    Ce fut là qu'elle lui présenta son compatriote Philippe le Bas, dont Elisabeth Duplay ne tarda pas à devenir la femme. Charlotte était, il paraît, d’un caractère assez difficile ; elle était surtout jalouse des soins dont son frère aîné était l'objet de la part de madame Duplay et de ses filles. De là quelques nuages entre elle et la famille de l'hôte de son frère. Un jour qu'elle avait

    eu une petite discussion avec madame Duplay, elle quitta son appartement de la rue Saint-Honoré et se retira momentanément, tout près de là, dans une chambre de la rue Saint-Florentin. Ce fut encore par un effet de son caractère peu traitable qu'ayant accompagné son frère Augustin, envoyé en mission dans le Midi, elle ne put s'entendre avec la jeune femme du représentant Ricord, nommé également commissaire de la Convention près les armées d'Italie. S'il faut en croire une tradition, que rien d'ailleurs ne justifie, elle aurait été, dans le cours de ce voyage, l'objet des galanteries du jeune Bonaparte, qu'avait remarqué son frère, et qui plus tard, au faîte de sa fortune, se souvint un jour de la sœur de celui qui avait été son protecteur. Qu'elle ait eu tort ou non dans ses querelles avec madame Ricord, qu'elle accusait d'avoir trop d'empire sur l'esprit de son frère, celui-ci crut devoir prendre parti contre elle ; il écrivit même à son sujet à Maximilien une lettre assez sévère, lettre dans laquelle il l'engageait à la faire partir pour Arras.

    Robespierre eut beaucoup de chagrin des dissentiments survenus entre sa sœur et Augustin.

    Lorsque ce dernier fut de retour à Paris, Charlotte, qui l'avait précédé, et qui était revenue, avant son départ, habiter l'appartement de la rue Saint-Honoré, quitta de nouveau la maison Duplay ; mais en se séparant de son jeune frère, elle lui adressa une lettre pleine d'amertume, dans laquelle, cependant, elle lui donnait des marques de la plus vive amitié. C'est cette lettre que tout le monde a pu lire dans le mémoire de Courtois, et que, par une indigne supercherie, les thermidoriens, en supprimant la suscription, et en retranchant quelques passages qui n'eussent laissé aucun doute sur le véritable destinataire de la lettre, ont prétendu avoir été adressée par Charlotte à Maximilien Robespierre.

    Quelques mois avant cette époque, elle avait été demandée en mariage par Fouché, que séduisait alors la perspective d'une alliance avec la famille Robespierre, et dont sans doute elle serait devenue la femme, sans les événements de Lyon.

    Mais les lettres particulières, adressées à Maximilien Robespierre par quelques Lyonnais, sur la manière atroce dont le sanguinaire proconsul exécutait le décret de la Convention, avaient excité son indignation, et dès lors il avait résolu de lui faire demander compte « du sang versé par le crime ».

    Voici en quels termes Charlotte Robespierre raconte, dans ses Mémoires, la réception qu'il fit à son collègue quand celui-ci, à son retour de Lyon, vint lui rendre visite : « Je fus présente à l'entrevue que Fouché eut avec Robespierre. Mon frère lui demanda compte du sang qu'il avait fait couler, et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d'expression que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses et rejeta les mesures cruelles qu'il avait prises sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s'était rendu coupable ; que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la convention nationale, mais que ce n'était pas une raison pour mitrailler en masse des ennemis désarmés. À dater de ce jour Fouché fut l'ennemi le plus irréconciliable de mon frère et se joignit à la faction qui conspirait sa perte. »
    Les projets de mariage, on le comprend, ne purent avoir aucune suite. Sœur de Robespierre, elle faillit être victime de la révolution du 9 thermidor, qui atteignit tous ceux qui tenaient d'un peu près à son frère. Arrêtée elle-même, elle demeura une quinzaine de jours en prison et fut assez heureuse, au bout de ce temps, pour recouvrer la liberté.

    Elle trouva chez M. Mathon, admirateur et compatriote de son frère, une hospitalité qui, jusqu'à la fin de sa vie, ne lui fit pas défaut. Mais son hôte n'était pas riche ; elle chercha donc à payer son assistance en se faisant en quelque sorte l'institutrice de sa fille, toute petite encore, et avec laquelle, lors de la mort de son père, arrivée en 1827 elle continua de vivre. Après le 18 brumaire, plusieurs amis lui conseillèrent de demander une audience à Bonaparte, qui ne pouvait avoir oublié ses frères. Elle le fit, et le premier consul la reçut parfaitement, lui parla dans les termes les plus flatteurs d'Augustin et de Maximilien Robespierre et lui promit d'avoir égard à sa position précaire. Quelques jours après, en effet, elle reçut le brevet d'une pension de 3600 francs. Cette pension, réduite de moitié sous la restauration, fut supprimée en 1823 ; mais, après la révolution de 1830, le gouvernement de juillet lui en alloua une de 1200. Fière et résignée, Charlotte supporta stoïquement la mauvaise fortune, en véritable sœur de Robespierre.

    Lorsque vers la fin de la restauration parurent, sous le nom de son frère, des mémoires apocryphes, œuvre de M. Charles Reybaud, elle fut accusée par un journal, l'Universel, d'avoir trafiqué de ses souvenirs. A cette accusation elle répondit par une lettre adressée au rédacteur de l'Universel, et qui mérite d'être citée ; la voici : 24 mai 1830. - Monsieur, dans votre numéro du 5 de ce mois, vous contestez l'authenticité des Mémoires de Maximilien Robespierre. En général, il n'y a rien à répliquer à la justesse de votre raisonnement ; mais il est dans cet article une phrase ainsi conçue : « Toutefois l'éditeur a cherché des documents fidèles, et, si ce qu'on se dit est exact, il aura pu s'en procurer. Une sœur aînée de Robespierre végète à Paris, dans le coin le plus obscur d'un faubourg, et cette femme est accablée d'années, de misère et du poids de son funeste nom. En achetant d'elle quelques souvenirs non effacés, il n'a pas été difficile de suppléer à ce que d'autres biographes ont omis, de rectifier des erreurs de faits, des erreurs de date, etc. » Ce qu'on vous a dit, monsieur, est non seulement inexact, mais cela est faux. Il est vrai que la sœur de Maximilien Robespierre, non son aînée, mais sa puînée d'une vingtaine de mois, végète, accablée de misère, d'années, et, vous auriez pu ajouter, de graves et de douloureuses infirmités, dans un coin obscur de la patrie qui la vit naître ; mais elle a constamment repoussé les offres des intrigants qui, dans le laps de trente-six ans, ont tenté à diverses reprises de trafiquer de son nom ; mais elle n'a rien vendu à personne ; mais elle n'a aucun rapport direct ou indirect avec l'éditeur des prétendus Mémoires de son frère ; et ceux qui ont dit que Maximilien Robespierre avait connu le besoin dans son enfance, et qu'il avait été enfant de chœur de la cathédrale d'Amiens, sont des imposteurs. Je regarde, monsieur, comme injurieuse à mon honneur et à ma probité l'idée qu'on ait pu acheter de moi des souvenirs non effacés.

    J'appartiens à une famille à laquelle on n'a pas à reprocher la vénalité. Je vais rendre au tombeau, le nom que je reçus du plus vénérable des pères, avec la consolation que personne au monde ne peut me reprocher un seul acte, dans le cours de ma carrière, qui ne soit conforme à ce que prescrit l'honneur. Quant à mes frères, c'est à l'histoire à prononcer définitivement sur eux ; c'est à l'histoire à reconnaître un jour si réellement Maximilien est coupable de tous les excès révolutionnaires dont ses collègues l'ont accusé après sa mort. J'ai lu dans les annales de Rome que deux frères aussi furent mis hors la loi, massacrés sur la place publique, que leurs cadavres furent traînés dans le Tibre, leurs têtes payées au poids de l'or ; mais l'histoire ne dit pas que leur mère, qui leur survécut, aie jamais été blâmée d'avoir cru à leur vertu. Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer. »

    Quelques années après avoir écrit cette lettre, dans laquelle on ne saurait méconnaître une certaine grandeur, elle s'éteignait entre les bras de mademoiselle Mathon, à l'âge de 74 ans. C'était le 1er août 1834.

    Ses obsèques eurent lieu le surlendemain. Un grand nombre de républicains suivirent son convoi, et sur sa tombe un des assistants lut un discours que, sur la demande de mademoiselle

    Mathon, un de ses jeunes amis politiques, M. Albert Laponneraye avait écrit du fond de la prison de Sainte-Pélagie, où il était détenu. Le fragment suivant peut donner une idée de cette oraison funèbre, qui, il paraît, émut singulièrement l'ardent auditoire réuni autour du modeste cercueil de la sœur de celui dont le nom avait eu une si prodigieuse influence : « La sœur du grand Robespierre a cessé de vivre. Ce précieux et dernier débris d'une illustre famille, cette femme angélique, que l'échafaud de thermidor avait épargnée, et qui, d'angoisses en angoisses et de douleurs en douleurs, était parvenue jusqu'à nous comme une relique vivante de ce passé où son frère brillait d'un incomparable éclat, la mort vient de la dévorer... Elle fut calomniée ; on lui reprocha d'avoir renié son frère, d'avoir pactisé avec ceux qui se plongèrent dans le sang du martyr de thermidor. Quel horrible blasphème ! Non vertueux et infortuné Maximilien, ta sœur ne t'a point renié ; non, elle ne s'est point apostasiée, en foulant sous ses pieds des principes qui ont été l'évangile de toute sa vie. Sœur de Maximilien Robespierre, arrache-toi pour un instant aux bras de la mort ; apparais-nous encore une fois, et dis-nous si jamais dans ta pensée ton bon et malheureux frère a cessé d'être révéré et chéri, si jamais tu as cessé de rendre hommage à ses vertus. » Un an après, M. Laponneraye, à qui tous les papiers de Charlotte avaient été remis, publia, sous le titre de Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, des notes malheureusement incomplètes, mais fort intéressantes malgré cela. A la suite de ces Mémoires se trouvent quelques pensées de Charlotte Robespierre, également recueillies dans ses papiers. Elle légua son bien modeste héritage à mademoiselle Mathon, qu'elle avait élevée, et qui, en récompense, soigna sa vieillesse avec un dévouement tout filial.

    L'objet le plus précieux laissé par elle est un portrait en miniature de l'impératrice Joséphine, avec laquelle elle avait été très liée lorsqu'elle n'était que la femme du général Beauharnais, et qui le lui avait donné en gage d'amitié.

    Ernest HAMEL.

    « A propos de Robespierre.A propos de Clara Zach (un exemple des moeurs au Moyen Âge). »

  • Commentaires

    6
    Dimanche 27 Mars 2016 à 11:52

    Bravo pour cette mise à jour sur Charlotte qui sans avoir été en harmonie personnelle avec ses deux frères n'en a aucunement renié la mémoire.

    En rédigeant sa vie privée de Robespierre, Bernard Nabonne a commis une mauvaise action. Dès le début, c'est un tissu d'affabulations qui ne visent qu'à attaquer tous azimuts, la ville d'Arras, la famille de Robespierre et of course Robespierre lui-même. Dans le genre c'est du plus haut comique

     

    AD Les amis de Robespierre

    5
    Mercredi 12 Août 2015 à 18:03

    Je ne connais Bernard Nabonne, très vaguement, que de nom.
    Je n'ai jamais lu de livre de ce monsieur et je ne savais pas qu'il avait écrit une "Vie privée de Robespierre". L'ouvrage étant paru en 1938 peut-être faut-il se replacer dans le contexte social et politique de l'époque, l'historiographie est également importante.
    Je n'ai pas à juger un auteur.
    J'écris seulement mes articles avec les ouvrages qui me sont accessibles, et je choisis des sujets qui m'intéressent.
    J'essaie, modestement mais avec rigueur, de faire un peu de vulgarisation historique.
    Merci Annick M. de m'avoir signalé cet écrivain, décédé avant ma naissance.

    4
    Annick M.
    Mardi 11 Août 2015 à 01:16

    J'ai lu avec beaucoup d'intérêt cet article qui montre la sœur de Maximilien sous un jour sympathique.

    Cela change de ce qu'ont écrit beaucoup d'historiens, notamment un certain Bernard Nabonne, auteur d'une "Vie privée de Robespierre" parue en 1938 (je crois) d'une très grande… méchanceté (je ne trouve pas d'autre mot ; cette biographie, à l'époque où je l'avais trouvée chez un bouquiniste et lue une première fois, m'avait laissée songeuse ; où pouvait-on puiser le courage, ou l'énergie ou la patience d'écrire ainsi tout un livre sur un personnage que l'on semblait autant mépriser ou détester ?… pour le seul plaisir de l'enfoncer, de le démolir à ce point ?… Outre lui, aucune personne de sa famille ou de son entourage n'était épargné, donc, Charlotte et Augustin, son frère, en prenaient aussi, si j'ose dire, plein la figure…). Connaissez-vous ce Bernard Nabonne (enfin, sinon, comme on dit, vous ne perdriez rien…) ? Merci à vous de rétablir les choses dans cet article. 

    3
    Pilayrou
    Vendredi 1er Novembre 2013 à 11:41

    Bonjour. Mes découvertes sur Robespierre, Barras, Fouché, Louvel...

    Travail reconnu sérieux par téléphone par le professeur Jean Tulard.

    http://louisxvii.canalblog.com/

    2
    Princess
    Jeudi 17 Janvier 2013 à 16:22

    Incroyable, JP. Ma mère savait que Maximilien avait eu une soeur, mais je l'ignorais pour ma part. Quel caractère ! Ce qui est assez surprenant, mais tant mieux pour elle, est qu'elle ait échappé à la mort le même jour que son frère, Saint-Just, etc. Parce qu'il me semble que tous ceux qui avaient été de leur côté y sont passés. 

    Parce qu'elle était une femme, et que malgré ses idées, elle n'avait envoyé personne à la guillotine ? Elle eut la chance aussi de tomber sur des amitiés fidèles. Ses rapports avec Bonaparte restent surprenants.

    Merci pour cet article. Tous ces personnages "ignorés" (par moi en tout cas) méritent qu'on les sorte de l'ombre. 

    1
    LULU.
    Mercredi 16 Janvier 2013 à 19:33

    MERCI JP ....TOUJOURS INTERRESSANTS TES ARTICLES .....

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