• Les princes de l’Aquitaine ancienne.

    Au temps des « grandes invasions », les Wisigoths, d'abord établis comme fédérés en Aquitaine seconde et autour de Toulouse, étendirent ensuite leur État à presque toute l'Aquitaine ; mais Clovis, vainqueur de leur roi Alaric II à Vouillé (507), fit entrer cette partie de la Gaule dans le royaume franc. L’Aquitaine garde des empreintes persistantes de la civilisation gallo-romaine. Il est significatif que l’Aquitaine ait été la seule province des Gaules qui conserva son nom antique.  Au VIe siècle, l'Aquitaine fit l'objet de nombreux partages, et, à partir de 580, fut envahie par les Gascons, venus du sud des Pyrénées, populations qui ont donné leur nom à l'antique Novempopulanie. Dès 533 un fils de Clotaire Ier, Chramn, fut chargé de surveiller et de mater cette région turbulente. Il faut y voir là un premier roi franc d’Aquitaine, Grégoire de Tours le nomme « rex ».  Ce premier royaume d’Aquitaine dura à peine 5 ans, de 555 à 560. Chramne s’étant sans doute montré trop ambitieux le roi Clotaire, son propre père,  marcha contre lui. Réfugié en Bretagne, auprès de Conomer, il est vaincu, étranglé et brûlé avec sa femme et ses filles.
    Gondovald, à la fin du siècle, tenta de se tailler une principauté, aidé entre autres par des évêques et comtes aquitains, mais il fut défait et tué en 585.
    De 629 à 632 un deuxième « royaume » d’Aquitaine est créé au profit de Caribert, fils de Clotaire II et frère de Dagobert Ier. Caribert a installé sa capitale à Toulouse. Décédé, il fut inhumé à Saint-Romain de Blaye.  Au cours de la seconde moitié du VIIe siècle, l'autorité des rois francs n'arriva plus à s'exercer dans cette partie du royaume et le pouvoir passa aux mains des ducs Félix puis Loup (duc d’Aquitaine de 670 à 688), et enfin Eudes (†735). Vers 660, le maire du palais Ébroïn reconnaît comme patricius  le dux de Toulouse, Félix, qui se comporte en princeps. Son successeur Loup rencontre des résistances locales, comme à Limoges.  C’est ainsi qu’est né un nouveau ducatus Aquitaniae, devenu un principatus, duché héréditaire qui a pu constituer une patria pour ses habitants, les Aquitani. De 688 à 772, soit pendant presque un siècle, ceux que j’appelle les « princes d’Aquitaine », dont le nom apparait en gras, ont dû lutter contre les invasions des « sarrasins », contre les Vascons, et surtout contre les attaques incessantes des Pépinides et des Carolingiens. Ces derniers ont fini par venir à bout du particularisme aquitain, non sans recréer un « vice-royaume » d’Aquitaine en 778 pour des princes carolingiens.

    Commençons d’abord par Eudes : certains ont dit qu’il était le descendant du roi d’Aquitaine Caribert, d’après la charte d’Alaon, reconnue maintenant comme fausse. Le 21 mars 717 Chilpéric II, roi de Neustrie sous la coupe de Rainfroi, se réfugie auprès du « princeps » Eudes, à qui il reconnaît le titre de roi d’Aquitaine : le troisième royaume d’Aquitaine est né, dont la capitale est à Bourges. Le Saint-Siège  légitime la dignité de princeps du duc d’Aquitaine, reconnu à juste titre comme champion de la chrétienté dans sa lutte contre les Arabes d’Espagne. En 718 Eudes rassemble une armée de Vascons, qu’il mène jusqu’en Neustrie. Le maire du palais d’Austrasie, Charles Martel, le met en fuite et le poursuit de Paris à Orléans. Eudes rentre en Aquitaine avec Chilpéric II. Cependant Charles Martel reconnaît à Eudes le titre de roi en 719. En 721 le roi d’Aquitaine Eudes, aidé d’une armée d’Aquitains, de Basques et de Francs, livre bataille devant Toulouse assiégée par les musulmans. As-Samh est tué et son expédition anéantie.  Charles Martel, en 731, lance deux expéditions successives contre Eudes d’Aquitaine. En 732 le nouveau gouverneur d’Espagne, Abd-er-Rhâman, envahit le territoire vascon, dévaste les faubourgs de Bordeaux, inflige au duc d’Aquitaine une défaite totale près du confluent de la Garonne et de la Dordogne ( ?) et remonte vers Poitiers et Tours. Eudes d’Aquitaine doit faire appel à Charles Martel. Le 17 octobre l’armée de  Charles Martel, et des Aquitains, remporte une victoire décisive sur les Arabo-berbères à Moussais, au nord de Poitiers.  Après la mort d’Eudes en 735, l’autonomie aquitaine prend fin provisoirement.  Mais en 735 et 736 Charles Martel doit faire campagne en Aquitaine contre les fils d’Eudes, Hunald et Hatton, qui se sont révoltés. Hunald compose avec Charles Martel qui ne lui reconnaît toutefois que le titre de duc, non celui de roi d’Aquitaine. Eudes aurait eu trois fils de sa femme Valtrude.
     Hunaud, ou Hunald Ier, fils d’Eudes et de Valtrude, sera duc d’Aquitaine de 735 à 745, non sans subir des attaques des Francs à partir  de 743. Pour riposter il fit alliance avec le duc de Bavière Odilon. Si Pépin et son frère Carloman se comportaient en rois (Pépin ne fut roi qu’en 751), pourquoi pas Hunald et Odilon qui avaient une tradition royale beaucoup plus ancienne ? En 745, Hunaud remet sa couronne à son fils Waïfre, et se retire dans un monastère de l’île de Ré. Il quitte l’île de Ré pour aller à Rome, où il arrive probablement en 752. Il semble que Hunaud soit encore en vie en 756.
     Waïfre succède à son père en 745. En 748 ou 749 Waïfre donne refuge à Griffon, un fils de Charles Martel et Swanahilde, donc demi- frère de Pépin et Carloman. Griffon reste en Aquitaine jusqu’en 753, année où il est assassiné alors qu’il cherche à gagner la Lombardie. Le territoire de Waïfre devient un véritable sanctuaire où se réfugient tous les Francs révoltés. Au moi d’août 766 ou 767 Pépin le Bref réside à Bourges, où il fait construire un palais. Après le rassemblement de l’armée pour une campagne en Aquitaine, son fils Charles mène les Francs jusque sur la Garonne. Il dévaste l’Aquitaine jusqu’à Agen, le Périgord et l’Angoumois. Il obtient la soumission de l’oncle de Waïfre, Remistan. Il remet au monastère Saint-Martial de Limoges la bannière dorée enlevée au duc Waïfre. A la mi-février 768 le roi Pépin le Bref se rend d’Orléans à Saintes où il promulgue un capitulaire de « pacification » pour l’Aquitaine.  Au printemps, toujours à Saintes, Pépin fait pendre Remistan. Pépin se fait livrer la mère, la sœur et les petits enfants de Waïfre : on ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Puis il se rend à Bordeaux pour conclure un accord avec les Vascons et avoir les mains libres contre Waïfre, qui est assassiné le 2 juin 768, dans la forêt de la Double dit-on. La principauté d’Aquitaine a disparu, sous les  coups redoublés de Charles Martel, de Pépin le Bref et de Charlemagne.
    Le sort des otages aquitains livrés en 768, pour écraser définitivement les révoltes pour l’indépendance du pays, fut terrible. Regroupés et dirigés par Lambert Aganus, fils alors mineur d’Aganus, seigneur de Turenne, ils furent mis en surveillance à Aix-la-Chapelle (Aachen). Ils y restèrent jusqu’en 823, soit cinquante-cinq ans ! Quinze ans plus tard, en 838, l’Aquitaine se souleva de nouveau.

    En 769 Hunald II, un fils de Waïfre, tenta de soulever  à nouveau l’Aquitaine contre les Francs. Hunald fut capturé par les Vascons qui le livrèrent à Charlemagne. Hunald échappa à la captivité deux ans après sous le prétexte d’aller en pèlerinage à Rome.  En 772 l’Aquitaine est définitivement soumise aux Carolingiens. Hunald II, qui s’était réfugié auprès du roi Didier de Lombardie, est tué en 774 à Pavie lors de la prise de cette ville par Charlemagne, qui ceint la couronne lombarde.

    Ce même Charlemagne crée en 778, pour Louis, son fils premier-né, un royaume d'Aquitaine subordonné à l'autorité du roi franc. Louis est couronné roi d’Aquitaine à Rome, le 15 avril 781, par le pape Adrien Ier. Louis « le Pieux » est roi d’Aquitaine jusqu’en 814 puis empereur de 814 à 840. Son fils Pépin Ier d’Aquitaine lui succède de 814 à 838. Pépin II, fils du précédent est roi d’Aquitaine de 838 jusqu’après 864. Louis II « le Bègue », roi de Neustrie de 856 à 877, roi d’Aquitaine de 867 à 877 deviendra Roi de Francie occidentale en 877 jusqu’à sa mort en 879.

    Le royaume carolingien d’Aquitaine disparut en  877.

    L’historien Michel Rouche a démontré que les princes d’Aquitaine, de Eudes à Hunaud II, en passant par Waifre, ont bien été « rois ». Il a tiré cette conclusion de l’examen de la cérémonie d’investiture royale d’Aquitaine. Elle se déroulait à Limoges, commençait par un séjour à Saint-Martial, patron du prince avec Tève le duc (corruption de Stephanus dux, duc Etienne) et Valérie qui y étaient aussi ensevelis, pour se terminer dans la cathédrale Saint-Etienne. Le roi, puis le duc d’Aquitaine à partir du IXe siècle, avait comme insigne de puissance une chlamyde de soie, un étendard attaché à sa lance, une épée, des éperons, l’anneau de sainte Valérie au doigt, et un cercle d’or sur la tête, c’est-à-dire l’ancien diadème du patrice. Nous pouvons inférer la cérémonie d’investiture pour le VIIIe siècle car, au IXe siècle, en 855, pour écraser l’autonomisme aquitain qui réapparaissait, Charles le Chauve fit sacrer roi d’Aquitaine son fils Charles l’Enfant à Limoges. Le prestige de saint Martial, la position centrale du sanctuaire dans l’Aquitaine expliquent très bien ce choix, qui ne fut jamais démenti par la suite. Henri Plantagenêt après 1154, Richard Cœur de Lion en 1167 et le Prince Noir en 1364 y furent aussi intronisés.
    Michel Rouche a également démontré l’existence des titres royaux et la présence d’insignes de royauté : pavois, bracelets, sceau et diadème, mais également monnaies. Ces princes avaient une administration : il y a des comtes, des ducs, des optimates, des gasindi. Hunald a même un conseiller.  Waïfre a un maire du palais  (puisqu’il possède des villae publicae) et des Juifs qu’il utilise pour les fonctions publiques. Charlemagne n’inventa rien lorsqu’il créa le royaume d’Aquitaine en 781. Il ne fit que recréer le vice-royaume de Chramn, de Charibert II, de Félix, de Loup, d’Eudes, de Hunald, de Waïfre et de Hunaud II.

    Après 877 un duché d’Aquitaine soumis aux Carolingiens, puis à la dynastie capétienne, sera successivement détenu par les Wilhelmides, les comtes d’Auvergne, les comtes de Poitiers,  les comtes de Toulouse et, in fine, par les comtes de Poitiers à partir de Guillaume III (†963),  dont la lignée s’arrêtera à Aliénor (†1204).

    Depuis le 27 mai 2000 Donna Emanuela Pratolongo porte le titre de duchesse douairière d’Aquitaine. Elle est en effet la veuve de Gonzalve de Bourbon, petit-fils du roi Alphonse XIII d’Espagne. On peut dire que ce titre est « de courtoisie » et purement théorique.


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